Company of One: pourquoi rester petit est la prochaine révolution du business
En tant qu’entrepreneur, j’ai toujours été fasciné par les dirigeants capables de mettre en place des business quasi autonomes.
À l’opposé de la « culture startup » où l’excès est encouragé, ces entreprises se contentent d’aller à l’essentiel pour générer des profits, puis les réinvestir dans une croissance raisonnée et contrôlée.
Ces entreprises à contre-courant, l’auteur Paul Jarvis les nomme « Company of One » et c’est justement le titre du livre qu’il a dédié à ce modèle d’entrepreneuriat.
Ce livre défend la thèse selon laquelle un business n’a pas besoin de croitre à tout prix pour réussir.
Au contraire, en se concentrant d’abord sur la qualité du service offert au client et la réalisation de profits, les jeunes entreprises peuvent construire des bases plus solides sur le long terme.
Dans cet article, je vous résume les points importants du livre Company of One, afin de vous aider vous aussi à concevoir des entreprises basées sur une croissance saine.
Company of One, le modèle de l’entreprise résiliente

Une Company of One est une entreprise qui remet en question le paradigme de la croissance à tout prix.
Contrairement à de nombreuses entreprises dont le seul but semble d’être toujours plus grosse, une Company of One préfère croitre au rythme de ses profits générés, sans chercher à capter des fonds externes qui ne servira qu’à pousser une croissance artificielle.
Bien que le nom porte à confusion, une Company of One peut avoir plus d’un employé. Ce terme est plutôt une philosophie et peut aussi bien convenir à une poignée d’individus qu’à une équipe comportant des centaines de personnes.
Cette philosophie peut être résumée simplement par trois mécanismes :
- Commencer petit
- Définir sa croissance
- Apprendre continuellement.
Ces trois mécanismes forment la base d’un modèle d’entrepreneuriat à contre-courant, qui remet en question notre compréhension de la croissance des entreprises.
Une remise en question de la croissance

La poursuite de la croissance est le comportement standard des entrepreneurs, au point qu’aujourd’hui on admire des entreprises capables de « scale up » très rapidement en engloutissant des millions d’euros d’investissement provenant du Venture Capital.
Mais malgré les croyances populaires, cette ultra-croissance est rarement synonyme de réussite.
Faire croitre une entreprise apporte son propre lot de problèmes, puisqu’avec plus d’employés à gérer, plus de couts d’infrastructure à payer et plus de complexité dans l’organisation, de nouveaux problèmes apparaissent qui ne sont pas forcément liés à la mission originale de l’entreprise, mais plutôt à des problèmes d’administration.
Ainsi, on observe souvent au sein des startups en ultra-croissance une complexification de l’organisation ressemblant fortement au mode de fonctionnement des grandes entreprises.
Poussée par toujours plus de capitaux, la croissance de l’entreprise s’autoalimente et génère une sorte de monstre insatiable — un concept que certains auteurs anglophones nomment « le fantôme affamé » (« the hungry ghost ») ou « la bête » (« the beast »).
Face aux nouveaux problèmes générés par la croissance (besoin de plus de hiérarchie, plus d’infrastructures, etc.), la solution par défaut est d’investir toujours plus pour régler ces nouveaux problèmes.
C’est comme si l’on attisait le feu de la croissance avec de l’essence en espérant que cela tarira les flammes.
Et les chiffres le montrent, l’ultra-croissance des entreprises est un facteur majeur de leur échec !
Lors d’une étude réalisée par l’organisation Startup Genome Project sur 3 200 entreprises en très forte croissance, il a été démontré que 74 % d’entre elles échouaient à cause d’une croissance trop soutenue.
Une seconde étude réalisée par la fondation Kauffman et le magasine Inc. sur 5 000 entreprises à aussi montré que 86 % des business considérées comme des réussites (c’est à dire qui était toujours actif après 8 ans sans avoir subi de licenciement massif ou de dévalorisation importante), l’on fait sans avoir recours au Venture Capital.
Une Company of One reconnait que la réussite n’est pas liée à sa croissance et préfère générer des profits réels, plutôt que de miser sur des profits hypothétiques.
Pour atteindre cet objectif, une Company of One doit comporter quatre caractéristiques :
- résilience : affronter les aléas du business en s’y adaptant
- autonomie : ne pas dépendre de moyens externes pour subsister
- vitesse : développer des solutions rapidement, en allant à l’essentiel
- simplicité : continuellement remettre en question l’efficacité des procédés et les garder à leur strict minimum.
Une Company of One fixe ses propres limites de profits et n’essaie pas de les dépasser. Comme l’écrit Paul Jarvis dans son livre :
« Si vous avez une idée d’entreprise qui nécessite beaucoup d’argent, de temps ou de ressources, vous pensez probablement trop grand ».
Vouloir « scale up » son business dès son lancement est une erreur et une perte de temps pour la plupart des entreprises digitales.
Le plus important est de trouver rapidement des clients et de les aider en leur fournissant une solution de qualité.
Une fois qu’une bonne relation client est établie et que les revenus affluent, le choix s’offre à vous de définir votre propre succès.
Le client au cœur des priorités
Dans ce livre, Paul Jarvis introduit le concept de « Minimal Viable Profits », ou « Profits Viables Minimaux » en français (un clin d’œil au concept de « Minimal Viable Product » créé par l’auteur Eric Ries dans son livre The Lean Startup).
Le concept de Minimal Viable Profits est simple : lorsque l’on crée une entreprise, il faut chercher à générer des profits dès le départ.
Et pour générer des profits, il faut commencer par trouver des clients !
Plutôt que de développer une solution qui coute des millions d’euros d’investissement, une Company of One fait le choix de proposer une solution certes plus simple, mais répondant à un besoin existant.
Grâce aux premiers profits générés, il sera ensuite possible d’améliorer la solution par incrémentations et ainsi d’améliorer la qualité du produit ou du service.
Le second point qui différencie une Company of One du schéma classique des startups concerne l’acquisition de nouveaux clients.
Pour « scale up », une startup financée par des capitaux externes va souvent se concentrer sur la quantité de nouveaux clients acquis en dépensant souvent des fortunes en marketing.
L’idée est simple : accaparer le plus d’attention possible en espérant convertir un certain pourcentage des consommateurs en nouveaux clients.
Avec cette méthode apparait le concept de « churn », c’est-à-dire le pourcentage de clients perdus au fil du temps.
Une Company of One ne dépense pas ou peu de ressources en marketing, car elle comprend que le churn n’est pas une solution viable au long terme puisque conserver un client existant coute toujours moins cher que d’en acquérir de nouveau !
Une Company of One comprend cette différence et dispose d’un avantage puisqu’elle peut mettre en place des procédés inconcevables pour des compétiteurs qui chercheraient la croissance à tout prix.
Par exemple, une Company of One peut prendre le temps de remercier chaque client à travers une note personnalisée ou développer un service spécialement conçu pour les besoins spécifiques d’un client.
L’entreprise 37signals, qui développe le logiciel de gestion de projet Basecamp, s’est fait connaitre de cette manière en réalisant une vidéo personnalisée pour chaque nouveau client.
C’est un processus long et couteux, mais cela importe peu quand la priorité est d’établir une relation avec le client et non d’en acquérir le plus possible dans un court laps de temps.
De plus, une Company of One n’a pas à investir des millions dans des campagnes marketing puisqu’en offrant un service de qualité, ces clients existants vont se charger de faire sa promotion à travers le mécanisme d’acquisition le plus efficace : le bouche-à-oreille.
Le bouche-à-oreille est la méthode d’acquisition la plus fiable et la moins onéreuse, pourtant elle est souvent sous-utilisée pour la simple raison que ce procédé est difficile à « scaler ».
Puisque son objectif n’est pas la croissance, une Company of One peut même se permettre de choisir ses clients et de développer une relation au long terme basée sur la confiance.
Une Company of One accorde aussi beaucoup d’importance à l’éducation de ses clients et n’hésite pas à offrir son temps, parfois gratuitement.
Comme le montre une étude sur 1 200 clients du conseiller financier Goldman Sachs JBWere Pty Ltd., plus un client est éduqué et plus le client montre une confiance et une loyauté élevées envers l’entreprise ayant fourni les connaissances.
Lorsque l’on crée une entreprise, être utile envers ses clients est le meilleur moyen de les fidéliser et de les encourager à faire la promotion de l’entreprise.
Une telle solution demande forcément plus de temps, mais une Company of One n’a pas à se soucier de l’inconvénient puisqu’au long terme, une telle philosophie assurera des profits plus stables.
En se basant sur ces méthodes, une Company of One développe les trois facteurs nécessaires au développement de la confiance entre un client et une entreprise :
- Assurance
- Compétence
- Bienveillance
Diriger une Company of One
Une Company of One ne se dirige pas de la même façon qu’une entreprise traditionnelle.
Pour diriger une Company of One, il faut être un bon généraliste, c’est-à-dire connaitre un peu de choses sur de nombreux sujets.
Le manageur d’une Company of One doit avant tout savoir donner des instructions tout en permettant à son équipe de travailler en autonomie.
Il y a donc un équilibre à trouver entre management trop intrusif (où le manageur forme lui-même un goulot d’étranglement) et trop laxiste (ce qui mènerait à l’anarchie).
Pour cela, le dirigeant d’une Company of One doit être organisé, préférer la communication asynchrone et la concentration profonde.
Pour les entreprises cherchant à établir un tel modèle, un « audit de la productivité » peut être nécessaire.
Cette étape consiste simplement à enregistrer pendant une semaine le temps passé sur chaque activité, puis d’identifier quelles taches ou activités occupent le plus de temps sans être réellement utiles à l’entreprise.
Cet exercice doit être répété régulièrement (deux fois par an au moins) afin de continuellement questionner l’état des opérations et la façon dont une Company of One utilise sa ressource la plus importante : le temps de son personnel.
Paul Jarvis liste aussi quelques exemples qu’il a lui-même mis en place dans son entreprise afin d’utiliser au mieux son temps :
- lorsqu’il développe un nouveau projet ou qu’il écrit un nouveau livre, Paul Jarvis passe plusieurs mois sans aucune communication (e-mail, téléphone, etc.), ce qui lui permet d’être pleinement concentré à la tâche en cours. Étant donné qu’il offre des instructions claires et de l’autonomie à ses équipes, les opérations peuvent continuer sans sa présence au quotidien.
- Lundi et vendredi sont des jours sans communication, encore une fois, pour une question de concentration et afin d’éviter les interruptions constantes.
- Paul Jarvis réserve le jeudi aux meetings et aux interviews. C’est le seul objectif réservé à ces jours donc même s’il ne fait rien d’autre que de passer son temps en meeting, il peut considérer que sa journée a été productive.
Son secret pour atteindre un tel équilibre est simple, il se demande d’abord : « Comment est-ce que je veux passer mon temps durant la journée ? ».
Une fois répondu à cette question, il définit ensuite un système lui permettant d’atteindre ce but.
Plutôt que de laisser les autres définir son temps, Paul Jarvis décide lui-même de la façon dont sa journée est structurée, même si cela demande de remettre en question le modèle standard des entreprises.
Enfin, le dirigeant d’une Company of One sait mettre son ego de côté pour se concentrer sur sa mission.
Le milieu des entrepreneurs est de plus en plus infesté de la « hustle culture » ou du « workaholisme », c’est-à-dire une culture qui incite à travailler le plus possible au détriment de sa vie personnelle.
Pourtant, comme le montre le psychologue Wayne Oates dans un article de recherche dédié au sujet, les bourreaux de travail ne surpassent en rien les travailleurs plus modérés.[1]
Au contraire, ils présentent des signes élevés de stress, des conflits personnels importants et même des problèmes de santé liés à ce comportement.
Le dirigeant d’une Company of One reconnait que le travail n’est pas une finalité en soi et met en place des systèmes permettant de vivre sa vie pleinement tout en ayant une activité professionnelle épanouissante.
C’est par exemple le cas de Sean D’Souza, fondateur du site psychotactics.com et réputé pour le fait qu’il prenne trois mois de vacances chaque année.
Un tel choix a bien sûr pour effet de limiter la croissance de son entreprise, mais cela à peu d’importance puisqu’il a lui-même défini des limites à ses profits et ne désire pas les dépasser.
Ce n’est qu’une question de priorité !
Vers un nouveau modèle d’entreprise
Il n’a jamais été aussi facile de se lancer dans l’entrepreneuriat.
Le système administratif n’a jamais été aussi simple et les outils à notre disposition n’ont jamais aussi nombreux qu’aujourd’hui.
Pourtant, être entrepreneur est encore trop souvent associé à l’image de la startup « branchée » qui lève des millions pour chambouler toutes une industrie.
Mais est-ce vraiment le seul mode de fonctionnement imaginable ?
Et est-ce le mode de vie que tous les entrepreneurs recherchent ?
Mon opinion est que non, et qu’il serait bénéfique à tous que l’on redore le blason de la PME, en s’inspirant du modèle de Company of One.
Pas besoin de courir après des investisseurs si l’on a une idée qui convainc un client.
Pas besoin d’embaucher une équipe démesurée lorsque l’on peut accomplir autant avec une ou deux personnes.
Et finalement, pas besoin de pression financière lorsque l’on base sa croissance sur des profits réels.
Si vous souhaitez vous lancer dans l’entrepreneuriat sans sacrifier votre indépendance et vos idées, la méthode Company of One est peut-être faite pour vous.
Sources:
1. Oates, W.E. On being a “Workaholic”. Pastoral Psychol 19, 16–20 (1968). https://doi.org/10.1007/BF01785472